à propos

ABOUT
(de souffle)

Il n’est pas certain que le fragile édifice de ce site supporte le poids d’une préface, ni même d’un « about », comme on dit aujourd’hui. Cependant la récente lecture de l’Homme sans qualités nous encourage, sans crainte excessive du ridicule, à donner une justification théorique à notre entreprise. Voici en effet ce qu’écrit Musil :

« Quand au-dehors pèse sur la langue, les mains et les yeux cette lune refroidie qu’est la terre, quand il n’y a rien au-dedans qu’un brouillard informe et toujours changeant, n’est-ce pas un immense bonheur que quelqu’un vous propose une expression dans laquelle on croit se reconnaître ? »

On peut avoir une conception plus romantique de l’âme, et penser, comme Tarkovski, que nous éprouvons des sentiments uniques et, parce qu’ils sont uniques, qu’ils sont indicibles ou exigent une langue unique.

Le Miroir (1975)

Avant que les romantiques ne nourrissent cette illusion, les classiques pensaient quant à eux que, tout ayant déjà été senti et dit, toute expression artistique était d’abord et nécessairement imitation. Après eux, Rimbaud a reconnu dans le langage l’indécrottable présence de l’autre qui nous empêche d’accéder à l’incertaine vérité du moi.

Aujourd’hui, le succès du cinéma repose sur le renoncement au désir d’être différent, le plaisir des expressions partagées, la communion dans le banal.

La Maman et la Putain (1973)

Kurt Vonnegut, Jr. a montré comment la télévision a grandement contribué à instaurer un langage commun national. Milo, un personnage de Breakfast of Champions, en accueille un autre avec ces mots : « Kilgore Trout, This is your life ! », sur quoi l’auteur remarque : « Milo used a line from a television show which had been popular a few years back. Much of the conversation in the country consisted of lines from television shows, both present and past. »

La même année (1973), le personnage principal de la Maman et la Putain, interprété par Jean-Pierre Léaud, déclare :

Ce que Vonnegut considère comme un mécanisme crétinisant à l’œuvre dans une culture américaine dont il dénonce le déclin, devient dans la bouche du héros d’Eustache une sorte d’idéal d’effacement du moi. C’est d’ailleurs un grand ressort du cinéma de la Nouvelle Vague. À l’interrogatoire qu’il subit à son arrivée à Alphaville, Lemmy Caution répond par des citations de Bergson, Nietszche et Pascal. On a souvent reproché à Godard de se protéger de même, et de ne faire parler ses personnages que par citations. À quoi il avait coutume de répondre qu’on ne peut parler qu’avec un alphabet qui appartient à tout le monde.

Au même titre que la chanson, le cinéma est un grand pourvoyeur de phrases prêtes à l’emploi. En 1997, le film d’Alain Resnais, On connaît la chanson, célébra la parenté entre les deux formes d’expression populaires majeures du XXe siècle : les personnages puisent dans un réservoir partagé où ils trouvent à traduire leurs émotions. Peuvent-ils d’ailleurs éprouver d’autres émotions que celles qu’ils y trouvent ?

I’m Thinking of Ending Things (2020)

Inversement, les films dits « cultes » produisent des répliques appelées à peupler les conversations et les chansons. C’est d’ailleurs une définition possible de cette catégorie vague : le film culte se distingue non par ses qualités esthétiques mais par sa capacité à participer à une culture de la reproduction massive. Les répliques cultes peuvent être spirituelles (Audiard, Jeanson), mais il s’agit là d’une qualité accidentelle, voire nuisible. La véritable réplique culte est marquée par la banalité – on n’ose dire sa bêtise – qui lui permet de s’immiscer plus facilement dans la langue quotidienne. On ne veut pas y trouver la marque d’un esprit trop singulier. Telle est d’ailleurs la force virale du mème.

Les personnages de Pierrot le fou citent Rimbaud ; mais ils sont à leur tour destinés à être cités. Difficile de dire aujourd’hui « J’sais pas quoi faire » sans que quelqu’un n’enchaîne « Qu’est-ce que j’peux faire », à la manière d’Anna Karina dans la pinède de Porquerolles.

Dans une étude déjà ancienne, le psycholinguiste américain S. Neruda a pu établir que le degré d’efficacité (e) d’une réplique peut être mesuré grâce à un rapport simple, connu sous le nom d’équation Neruda : e= n/s ; n étant la notoriété du locuteur et s le degré de singularité de l’énoncé.

Morris et Goscinny se sont amusés de ce phénomène dans Jesse James, un album de Lucky Luke de 1969, où le personnage de Frank James, doté d’une culture nettement supérieure à celle du bandit qui l’a inspiré, ne s’exprime que par citations supposées de Shakespeare.

L’écart est maximum entre le prestige du dramaturge élisabéthain et la banalité des expressions.

De même, parmi les 8500 citations (dont plus de la moitié en français) de plus de 2200 films que propose ce site, seule une poignée exprime une idée neuve ou profonde. Dans sa brutale simplicité, la phrase « you talkin’ to me », par exemple, est dotée d’un faible coefficient d’originalité et celui qui la profère (Robert De Niro dans Taxi Driver) d’un fort coefficient de notoriété. On a donc là les principaux ingrédients d’une réplique culte, dûment répliquée comme telle, vingt ans plus tard, par Vincent Cassel dans La Haine

On pourrait évidemment, mutatis mutandis, en dire autant de la première phrase de la Recherche du temps perdu.

Voilà donc pour le soubassement théorique du site SIWC. Reste à suggérer un mode d’emploi.

Le site se prête d’abord à une promenade cinéphilique qui mènera d’autant plus loin qu’on ne saura où l’on va. Cette promenade peut prendre la forme plus précise d’un jeu : identifier le plus rapidement les films, à mesure que l’on fait défiler les images.

On peut à l’inverse se livrer au plaisir de la décontextualisation et chercher à voir à quelle situation de notre vie quotidienne certaines phrases peuvent s’appliquer, à quelle actualité intime ou publique elles renvoient. On goûtera ainsi une tristesse ou un bonheur empruntés, peinturlurant aux couleurs d’Hollywood ou de Cinecittà les petites joies et les petites peines de notre existence. On pourra même donner un sens politique à cette pratique du détournement :

« S’emploie par abréviation de la formule : détournement d’éléments esthétiques préfabriqués. Intégration de productions actuelles ou passées des arts par une construction supérieure du milieu […]. Dans un sens plus primitif, le détournement à l’intérieur des sphères culturelles anciennes est une méthode de propagande, qui témoigne de l’usure et de la perte d’importance de ces sphères. » (Internationale situationniste, n° 1, juin 1958)

Sayitwithcaptions est aussi une méthode d’apprentissage de la langue anglaise (et dans une moindre mesure de la langue française). Le mot-clé « Insults and profanities » et le thème « Reproach and rudeness », par exemple, vous fourniront des centaines de répliques vulgaires qui devraient vous permettre de faire face à toutes les situations exigeant une repartie cinglante.

Les visiteurs sont enfin invités à confectionner leurs propres messages. Depuis presque un siècle que le cinéma parlant existe, il est en effet peu de champs d’expérience qu’il n’ait explorés. Dans ce catalogue des émotions, on reconnaîtra toutes les nuances de sa propre tendresse, de sa propre misère ou de sa propre colère (mais cette colère est-elle encore la mienne quand tant de gens se mêlent d’en parler et de s’y retrouver mieux que moi-même ?, se demande Ulrich, l’Homme sans qualités), en termes mesurés ou excessifs. Guidé par les themes et les keywords, on trouvera les mots et les images pour souhaiter un bon anniversaire ou une bonne année, dans l’euphorie d’une humanité partagée. Les plus timides ou les moins éloquents pourront aussi, à la manière de Christian dans Cyrano de Bergerac, faire dire par d’autres ce qu’ils n’osaient ou ne savaient déclarer.

Thunderbolt and Lightfoot (1974)

Les images contenues dans ce site ont été principalement collectées sur internet ; elles seront retirées sur simple demande des éventuels ayants droit.

Les sites qui nous ont inspirés et que nous avons allègrement pillés :
https://freshmoviequotes.tumblr.com/
https://colettesaintyves.tumblr.com/
http://www.dvdbeaver.com/
http://shangols.canalblog.com/
https://alexonfilm.com/